Réflexions sur le livre de Daniel Cohen "Brève histoire de l'économie"
« Une maison peut être grande ou petite, aussi longtemps que la taille des maisons voisines est la même, tout va bien. Si un palais se construit à côté, la maison devient minuscule. » Karl Marx
Je viens de terminer « une brève histoire de l’économie » de Daniel Cohen. Comme chaque fois que je termine un livre que j’ai aimé, j’ai traîné pour lire les derniers chapitres. Puisque tout a une fin, même les bons livres, il s’agit pour moi de déguster le plaisir d’une lecture que je regrette déjà, avant même qu’elle se termine.
Les derniers chapitres sont-ils les meilleurs ? C’est mon impression immédiate. J’ai ressenti une condensation de la pensée mue par la volonté de Daniel Cohen de transmettre.
Je suis dans la zone d’âge où, écrit-il, le bonheur revient. C’est vrai bien qu’à ma manière, j’ai toujours été heureux. Je suis donc aujourd’hui plus heureux.
En lisant les passages du livre sur l’envie et ses conséquences, je m’aperçois de la chance que j’ai eue de ne pas envier mon « cercle de référence ». Hier encore, je disais que, si certains de mes élèves avaient gagné beaucoup d’argent en exploitant à leur façon ce que je leur avais appris, j’en étais heureux pour eux mais que cela ne me faisait en rien regretter la voie que j’avais choisie. C’est cette voie qui aujourd’hui me rend heureux.
C’est aussi dans les chapitres de la fin du livre que Daniel Cohen énonce les dix conseils de Bruno Frey pour être heureux. Tous sont pertinents.
Parmi ceux-ci toutefois, je complèterais « gagnez de l’argent sans en faire une maladie » par « et si possible gagnez le par vous-même en entreprenant. » Pour ma part, lorsque je vois comment il est difficile pour certains de gérer leurs augmentations de salaire et les frustrations que celles-ci peuvent engendrer, je préfère prendre le risque d’une mauvaise année pour laquelle je n’aurais que moi à blâmer.
« Croyez en quelque chose » est le cinquième ; je n’ai jamais cru ni en ni à quoique ce soit. La fidélité, la loyauté, en amitié comme en amour est un cadeau, il n’est pas bon d’y croire. Croyez en vous. C’est suffisant. Et retenez que pour aimer les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même. Cela veut dire s’accepter pour ce que l’on est et surtout ne pas vouloir être quelqu’un d’autre. J’aurais aimé être Beethoven ou Balzac. Il y a belle lurette que j’ai accepté le fait de ne pas l’être. Cela m’a évité d’être malheureux.
L’avant dernière phrase du livre constitue également un conseil pour être heureux : « Dans l’équilibre entre compétition et coopération, il faut redonner vie à la seconde… ». C’est une des vertus de l’économie californienne du Nord à ses débuts certainement, aujourd’hui ? Le réseau : si tu m’aides aujourd’hui, je t’aiderai un autre jour. Ce n’est pas, contrairement à ce que certains pourraient penser, une version de la planète Bisounours. Il y a cette notion d’être en dette et de devoir un jour retourner la faveur. Mais, tout comme une dose raisonnable d’égoïsme est vertueuse, l’aide consentie forge l’équipe qui un jour remportera la palme, justement par le fait que cette aide aura, non pas sa « récompense » mais son juste retour.
La « réussite » que j’ai connue dans la dernière partie de ma vie professionnelle est fondée sur cette économie du réseau. Je n’ai jamais eu à m’en plaindre. La création avec @LuciePraly de notre cabinet d’avocats entrepreneurs se fonde sur cette notion de réseau. Je crois que les cabinets d’avocats qui survivront à l’intelligence artificielle seront les gros s’ils savent maigrir et les minuscules, s’ils savent travailler en réseau.
Il existe aux Etats-Unis des cabinets qui fonctionnent entièrement sur cette notion de réseau. J’en ai croisé lorsqu’ils cherchaient des candidats pour la France. L’un d’eux @FisherBroyles a déjà connu un spin-off : @PiersonFerdinand !
Le principe est simple : le cabinet ne comprend que des associés. Chaque associé gère son activité comme il l’entend. Il travaille aussi peu ou autant qu’il le souhaite. Il verse x% de son chiffre d’affaires pour l’entretien de la structure de services que l’association met à sa disposition. Si un associé adresse un dossier à un autre, il reçoit y% des honoraires perçus. Lorsqu’un gros projet se présente, l’associé responsable lance un appel d’offres et reçoit des candidatures. Il choisit et constitue l’équipe qui travaillera sur le deal en suivant les principes de rétrocession exposés.
L’associé peut avoir lui-même sa structure ou pratiquer seul, c’est son choix.
Ce type « d’association » présente l’avantage d’avoir des coûts de fonctionnement réduits et donc de laisser à l’associé (100 – x%) de son chiffre et l’avantage d’avoir accès à des dossiers ou de participer à des projets qu’il n’aurait autrement pas eus.
C’est mon avis que ce type de structure a un avenir et pourrait en France fonctionner, avec une légère adaptation pour tenir compte de la taille de notre pays, sous la forme d’un GIE et en Europe d’un GIE européen.
Je me suis beaucoup éloigné de mon propos, pas de mon sujet puisqu’il s’agit de coopération. La coopération n’a d’avenir que si elle engendre des bénéfices mutuels.
Daniel Cohen évoque également les Trente Glorieuses durant lesquels les Français auraient nagé dans le bonheur avant de sombrer dans une forme de dépression qui leur vaut d’être aujourd’hui de grands consommateurs d’anti-dépresseurs. Cette dépression serait la mise en application de la règle qu’il énonce : « Si rapide que soit le développement économique à un moment donné, une société est fatalement rattrapée par la frustration lorsque la croissance ralentit. » Si l’on retient le chiffre 30, la fin des glorieuses années se situerait aux alentours de 1975 et du premier choc pétrolier.
Je tiens que c’est une erreur et que l’ennui a gagné les jeunes français bien avant. En février 1968, l’ancêtre de Charlie Hebdo, Hara Kiri, publiait une couverture dessinée par Reiser qui représentait un chien mâle au regard triste couvrant sa femelle avec ennui et qui disait « on a plus de goût à rien ! ». J’ai encore le désespoir du regard canin en mémoire.
Deux mois plus tard c’était mai 68. J’ai encore le souvenir de cet ennui diffus d’enfant gâté, ce qu’étaient ces étudiants « révoltés ». toutefois, pendant que certains battaient le et jetaient des pavés, j’assistait au tournoi de Roland Garros sur des gradins clairsemés. Je tiens que la poésie était de notre côté.
En conclusion, je retiendrai deux phrases de Daniel Cohen, pleines de bon sens. La première, je l’espère aidera certains fumeurs à persister dans leur arrêt « Le fumeur qui renonce au tabac doit penser qu’il reconquiert les moyens d’une vie bonne, sinon il ne fait que vivre dans le deuil d’un bonheur perdu et la rechute est inévitable. » Pour avoir arrêté de fumer, je confirme que chaque fois que j’ai eu envie de cette gitane du café après déjeuner, ce qui m’a retenu de la fumer, c’est le bonheur de respirer librement sans m’essouffler en pratiquant la pelote basque et la plongée sous-marine.
La seconde, qui servira de conclusion, compare l’arrivée de l’intelligence artificielle et l’imprimerie de Gutenberg : « On aimerait que l’intelligence artificielle tienne sa place dans cette glorieuse lignée… Il semble malheureusement que ce soit tout à fait le contraire qui se produise. La transformation en cours fait naître un individu marqué par la crédulité et l’absence d’esprit critique. On attendait Gutenberg mais c’est Benjamin Castaldi qui nous accueille. » C’est une perle !
J’ajoute que l’utilisation du mot intelligence en français est un contresens. « Intelligence » en anglais se réfère à l’information et à la connaissance. Il serait plus pertinent de parler de « connaissance artificielle ».